Christchurch. Comme a l'habitude, je parcourais Barbadoes Street vers les collines pour me rendre au supermarche. Dans la distance, la ou Barbadoes St. rejoint Moorhouse Av., cette enorme masse jaune, comme une gigantesque boite a chaussures deguisee en abeille, grandit a mesure que j'avance vers le sud.
Comme a chaque fois, la grosse boite jaune affiche cette phrase etrange: "Grab ya cossie and head to Aussie". En grasses lettres noires, comme une injonction. Seulement, ces mots sont pour moi un mystere.
Aujourd'hui, ces rues sont miennes, je peux deambuler sans penser au chemin emprunte et pourtant arriver a destination. Je peux predire les feux aux carrefours, m'insinuer dans cette circulation, repondre en kiwi a un Kiwi. Mais cependant que je deviens de plus en plus expert de cette ville et de ses habitants, l'encontre de cette phrase, au moins trois fois par semaine, me met dans un etat particulier. Le sens absent de ces mots singuliers me replonge quatre mois en avant, lorsque j'etais encore completement perdu dans cette ville. Comme pour me rappeler que je ne suis ici qu'un etranger, ces mots reviennent toujours.
Grab ya cossie and head to Aussie. Sonorites et images sans aucun sens. Je me sens alors isole et inconfortable, comme si je n'avais acces qu'a un nombre limite de secrets. Comme lorsque, autour de moi, des gens parlent de drogues que je ne connais pas. Comme lorsqu'ils partagent des choses dont je ne peux etre temoin qu'a distance.
Grab ya cossie and head to Aussie sonne enfin comme cet espace vide, cet eternelle question au sujet de ce qu'on n'est pas, cet Autre intangible et mysterieux.
Ces grosses lettres sur fond jaune sont effrayantes de non-sens. Elles me condamnent, par leur vacuite, a n'etre que ce voyageur qui ne reste qu'a la surface des choses. Elles me condamnent a m'arreter a l'image pour en ignorer le sens. Est-ce heureux? Quoi qu'il en soit, je finis par me complaire dans ce jeu et ces lettres, a la fois son et image, ont fini par entrer en moi et participer a ce qui me constitue, ce puzzle en mouvement constant etrangement construit, non pas a partir ces bords comme le veut l'usage, mais du centre; et chaque nouvelle piece vient compliquer le jeu. Surtout si elle est asemantique.
Ainsi, disais-je, je me complaisais dans ce jeu de construction, tant et si bien qu'un jour, sans meme y penser, comme si mes levres agissaient sans demander leur reste au cerveau, je me suis surpris a poser la question a un kiwi. Probablement la question n'attendait-elle aucune reponse, l'enigme trouvant son interet avant le denouement seulement.
Mais la curiosite, l'avidite, ce besoin de s'emplir sans cesse de choses nouvelles, contrebalancaient cette envie de vide. Et la reponse apparut toute simple. "Prends ton maillot et vole en Australie". Aussi simple que ca. Un slogan publicitaire, sans plus. Une de ces phrases pensees par des professionnels afin de bloquer le cerveau humain. Un de ces leitmotivs visant a focaliser l'attention sur une evidence plate et ennuyeuse, afin d'eviter le questionnement, le desequilibre, le vide, le suspens.
Les publicitaires avaient echoue. Peut etre une personne sur un million, seulement, avait vide ces mots de leur sens et utilise leurs sons et images pour creer un univers en desequilibre, pour creer une porte d'entree vers cet Autre que l'on croit si distant.
Merci aux agences de voyage pour m'ouvrir l'esprit.
Comme a chaque fois, la grosse boite jaune affiche cette phrase etrange: "Grab ya cossie and head to Aussie". En grasses lettres noires, comme une injonction. Seulement, ces mots sont pour moi un mystere.
Aujourd'hui, ces rues sont miennes, je peux deambuler sans penser au chemin emprunte et pourtant arriver a destination. Je peux predire les feux aux carrefours, m'insinuer dans cette circulation, repondre en kiwi a un Kiwi. Mais cependant que je deviens de plus en plus expert de cette ville et de ses habitants, l'encontre de cette phrase, au moins trois fois par semaine, me met dans un etat particulier. Le sens absent de ces mots singuliers me replonge quatre mois en avant, lorsque j'etais encore completement perdu dans cette ville. Comme pour me rappeler que je ne suis ici qu'un etranger, ces mots reviennent toujours.
Grab ya cossie and head to Aussie. Sonorites et images sans aucun sens. Je me sens alors isole et inconfortable, comme si je n'avais acces qu'a un nombre limite de secrets. Comme lorsque, autour de moi, des gens parlent de drogues que je ne connais pas. Comme lorsqu'ils partagent des choses dont je ne peux etre temoin qu'a distance.
Grab ya cossie and head to Aussie sonne enfin comme cet espace vide, cet eternelle question au sujet de ce qu'on n'est pas, cet Autre intangible et mysterieux.
Ces grosses lettres sur fond jaune sont effrayantes de non-sens. Elles me condamnent, par leur vacuite, a n'etre que ce voyageur qui ne reste qu'a la surface des choses. Elles me condamnent a m'arreter a l'image pour en ignorer le sens. Est-ce heureux? Quoi qu'il en soit, je finis par me complaire dans ce jeu et ces lettres, a la fois son et image, ont fini par entrer en moi et participer a ce qui me constitue, ce puzzle en mouvement constant etrangement construit, non pas a partir ces bords comme le veut l'usage, mais du centre; et chaque nouvelle piece vient compliquer le jeu. Surtout si elle est asemantique.
Ainsi, disais-je, je me complaisais dans ce jeu de construction, tant et si bien qu'un jour, sans meme y penser, comme si mes levres agissaient sans demander leur reste au cerveau, je me suis surpris a poser la question a un kiwi. Probablement la question n'attendait-elle aucune reponse, l'enigme trouvant son interet avant le denouement seulement.
Mais la curiosite, l'avidite, ce besoin de s'emplir sans cesse de choses nouvelles, contrebalancaient cette envie de vide. Et la reponse apparut toute simple. "Prends ton maillot et vole en Australie". Aussi simple que ca. Un slogan publicitaire, sans plus. Une de ces phrases pensees par des professionnels afin de bloquer le cerveau humain. Un de ces leitmotivs visant a focaliser l'attention sur une evidence plate et ennuyeuse, afin d'eviter le questionnement, le desequilibre, le vide, le suspens.
Les publicitaires avaient echoue. Peut etre une personne sur un million, seulement, avait vide ces mots de leur sens et utilise leurs sons et images pour creer un univers en desequilibre, pour creer une porte d'entree vers cet Autre que l'on croit si distant.
Merci aux agences de voyage pour m'ouvrir l'esprit.
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