mardi, décembre 19, 2006

Memoires d'un voyageur solitaire

Titirangi Bay, 29 novembre

Des taches parcourent lentement l’herbe verte de prairies rebondies sur le flanc d’une montagne qui pourtant garde une allure de titan. De temps en temps, une silhouette de mouette plane entre les sombres nuages qui s’avancent avec lourdeur et se deploient ou se resserrent. Alors seulement un coin de ciel bleu donne ca et la un ton plus leger et baigne les prairies dont je parlais dans un vert qui, a cote de la penombre dans laquelle la montagne est plongee, semble presque phosphorescent. Est-ce l’herbe qui eclaire le ciel ou l’inverse?
Le vent et le bruit des vagues s’ecrasant sur le sable noir donnent a la scene un air grave. Pourtant, le creux de dune ou je suis assis me confere comme un petit havre de paix dans ce tumulte. Un ruisseau fait ses derniers pas entre les galets avant de se jeter dans l’ocean. Comme moi, quelques hirondelles profitent de cet ecrin.
Assis la, mon corps se repose des efforts du jour. Je me reveillais ce matin a bord du Zircon Flamboyant en entreprenant de parcourir a velo les 26 km qui me separent de Titirangi Bay. Sur le chemin, me disais-je, je pourrai deposer mon celerifere et grimper, pedibus cum gambis, au sommet du mont Stokes pour admirer la vue sur les fjords du Marlborough.
Seulement, la cote est rude et le velo alourdi par mon sac. Une fois de plus, comme lorsque je voyageais avec mon vaillant camarade, j’entreprenais sans le savoir ce qui s’avera plus tard etre la plus longue cote qu’on ait grimpee. Je dois alors ravaler mes ambitions quant au sommet du mont Stokes qui, de toute facon, est cache dans un amas de lourds nuages noirs. Mais au plus j’espere la descente, au plus ca monte.
Quelques larmes plus tard, j’amorce la descente vers Titirangi Bay avec prudence et circonspection: le vent est si fort que, meme les deux pieds bien campes dans le sol, je manque de chuter.


La plage au coeur de cette superbe baie serait digne d’etre nommee: “Two dead penguins and two dead sharks beach”. Cette pensee, assis dans le sable, me ramene quelques jours auparavant, alors que Santiago et moi venions de prendre la route entre Christchurch et Picton. Nous avions traverse le pays de part en part, d’Est en Ouest, a travers monts et vallees. Chaque foret, chaque prairie, chaque maison, a peu de choses pret, me donnaient envie de m’installer la pour toujours… Mais le destin nous poussait vers la ville de Picton, ou Santiago devait prendre le ferry pour l’ile du nord.




Ainsi roulions-nous vers le nord, tout en decouvrant la cote Ouest (West Coast, que nous pouvons aisement s’amuser a transformer en Wet Coast). Des forets d’une densite rare, avec leurs pins, leurs fougeres geantes et leurs milliards de feuilles, plongeaient dans une mer de Tasman qui, a nos yeux, semblait demontee. La hauteur des falaises et l’aspect inhospitalier des rochers portaient a croire qu’aucune plage ne donnait acces a la mer.



Puis, au bord de la route, au milieu de cette foret touffue infranchissable, quelques herbes et brqnchages sont ecartes, nous laissant un etroit passage taille dans cette jungle comme un tunnel creuse dans la roche, un sentier secret nous mene inexorablement vers le bas. Enfn, nous arrivons en presence d’une plage superbe. Quelques rochers emergent d’un sable gris et fin traverse par un ruisseau s’ecoulant sur la plage. En amont, une cascade s’ecrasant sur un rocher plat offre comme un lit de fraicheur au voyageur fourbu. Mais il fait deja assez froid et nous piqueniquons en regardant vers l’horizon. Au loin, il semble qu’un phoque, le nez dans le sable, repose du sommeil que l’on dit eternel. Mais apres examen, ce n’est qu’un morceau de bois. Quoi qu’il en soit, nous baptisons ce paradis: “The dead seal’s beach”.



Cependant que j’ecris ces lignes assis sur ma dune, une vache noire me regarde d’un air interloque, ennuyee par ma presence. C’est plutot moi qui devrait etre surpris de voir une vache dans des dunes. Enfin. On est dans le pays ou les bovins, eux aussi, ont la tete en bas…


Alors que je cherche les mots qui conviendront le mieux a la suite de l’histoire en regardant dans le vague, le bruit et les reflets du ruisseau me rappellent non sans nostalgie cette riviere ou Santiago et moi nous baignames, quelques jours auparavant. Nous avions quitte, la veille de la baignade, les vagues et les vents de la cote ouest pour une route en gravier (les fameuses gravelroads neo-zelandaises) de six kilometres, poussant le Zircon dans ses derniers retranchements.
La route entrait dans les terres entre deux falaises imposantes recouvertes d’une jungle epaisse. Santiago et moi nous croyiionsdeux guides/braconniers/rangers/trafiquants de coca au fin de fond du Kenya/de la Colombie. C’etait epique.
Nous nous arretames au bord de la riviere Bullet et allumames un feu pour eloigner ces maudites sandflies si enclines a vous vider de tout votre sang.



Tels frodon et Sam quittant la Comte, nous sommes partis le lendemain a l’aube entre pres fleuris et clotures eparses, vers le mont Bovis. La randonnee fut epuisante mais magnifique, une fois de plus. Dans la foret, alors que le ciel etait d’un bleu eclatant, presque aucun rayon de soleil ne traversait les denses feuillages. Puis, arrives au sommet, la vegetation plus rare nous offrait a voir l’ocean pourtant loin, et plus d’arbres que je n’en avais jamais vu. Il semblait que nous etions les seuls humains a des lieues a la ronde.





De retour aupres du Zircon, nous nous rafraichissons dans la riviere bienfaitrice avant de redescendre vers la cote.
A present, le vent se fait plus froid et j’ai interet a fermer mon k-way si je ne veux pas choper la creve. J’ai l’impression que mon ecrin de sable n’est plus aussi efficace qu’avant. A present, les nuages gris fonce ne laissent plus de repit aux rayons du soleil. Quand je pense que, il y a a peine quelques jours, nous siestions au soleil sur une plage de sable chaud et dore, entoures de nymphes superbes et denudees. C’etait dans le parc Abel Tasman.

Nous etions partis, je me souviens, un matin tres tot, sacs au dos. La marche etait en realite plutot penible: un sentier battu, sans reliefs, dans une foret ennuyeuse et sans rebondissements. Puis, au premier arret, nous nous trouvons stupefaits devant tant de beaute: un panneau nous invite vers une plage de sable fin entouree de pins, rochers, palmiers et fougeres geantes, avec une eau si claire, turquoise, puis bleue a l’infini, se confondant avec la canopee celeste comme l’abeille embrasse le miel.






Nous nous baignons dans des rivieres d’eau claire entoures d’anges, nous traversons des estuaires au lever du jour, nous siestons au soleil, berces par le bruit des vagues… L’aventure prenait un gout de paradis. Cet endroit qui, en ete, est infeste de touristes, ce jour la, nous l’avions presque pour nous seuls.







La froidure, si elle n’atteint que superficiellement l’enveloppe physique, devient souffrance lorsqu’elle atteint l’ame du voyageur fatigue. C’est donc tapi dans l’ombre bienveillante de ma tente que je continue a ecrire le recit palpitant de nos aventures.
Ainsi donc, tel qu’il a ete dit, notre destin etait de nous rendre a Picton, afin de deposer notre brillant Santiago aux portes de l’ile du nord. Ainsi fut fait. En une journee seulement de chemin, et grace a la celerite sans cesse comtee de notre Zircon, nous nous retrouvons dans la riante ville de Nelson sur les hauteurs de laquelle nous passons une nuit reparatrice. Le lendemain soir, enfin, nous touchons au but.
Du haut des collines, Picton ressemble avant tout a deux gros bateaux. Deux vaisseaux enormes sont affretes et semblent gargantuesques en comparaison de la petite ville. Dans un café du port, nous assistons l’apres midi a un concert dont le seul interet fut probablement le charme de la jeune photographe de rouge vetue. Le soir meme, l’inenarrable Santiago m’invite dans le plus couru des restaurants de la ville afin que nous celebrions, un peu a l’avance, certes, mon anniversaire. Je profite de ce media afin d’une fois de plus lui adresser mes plus vifs remerciements au sujet de cette soiree digne des plus grands galas.
Nous eumes, le lendemain, le loisir d’une promenade au sommet d’une peninsule nous prodiguant une vue imprenable sur les fjords du Marlborough. Mais, nous le savions, quelque chose de bien grave attendait nos deux heros au lendemain de cette riante journee.



Avant l’aube, le reveil d’un gsm sonnait le glas de la separation. Le vaisseau en partance de l’ile du nord n’attendrait pas le courageux Santiago. Je l’accompagnai donc jusque sur les quais ou quelque adieu viril suffit. Puis le bateau partit, emportant un homme, mais laissant tant de souvenirs a terre et dans le coeur de celui qui ecrit ces lignes.
La nuit maintenant tombee sur Titirangi Bay appelle mes paupieres lourdes a s’abaisser pour quelques heures. Quelque repit, enfin, car demain, la route serra longue; ainsi en est-il d’apres demain, et du jour d’apres encore. Car nos deux aventuriers n’auront de cesse d’explorer le Pays du Long Nuage Blanc, par tous vents et marees. Biens qu’a present separes, c’est encore ensemble qu’ils decouvriront pour vous les plus surprenants et les plus inattendus des aspects de notre chere planete. Et, qui sait, peut etre un jour, se retrouveront-ils pour de nouvelles aventures.
Bon voyage, fils du vent.

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